De la lande à la naissance d’un bourg

Histoire de Toctoucau
Histoire de Toctoucau

Introduction

A la fin du XVIIIème,  le territoire  qui deviendra, en 1930, le quartier de  « Toctoucau » est une vaste étendue couverte de landes, de brandes de marais, de quelques bosquets de feuillus et des pins. Si de rares maisons, dispersées dans la lande, rompent la monotonie des lieux, seules les auberges situées en bordure du chemin de la Levade, (qui prendra plus tard, le nom de route de Bordeaux à La Teste), attestent d’une présence humaine.

Ce lieu est réputé dangereux en raison des marais que les charrettes et les bœufs sont contraints de traverser, mais  aussi des brigands qui rodent aux environs du bois de Gazinet pour dévaliser les marchands de la Teste qui circulent sur La Levade  pour aller vendre leurs produits à Bordeaux et la nuit tombée rentrent avec la recette de leur journée.

L’origine du nom Toctoucau

Le  toponyme  « Toc touchau »,  apparaît  pour la première fois sur le cadastre de 1809 de la commune de Cestas. Il provient d’une expression gasconne « Toc tocau » (qui signifie petite tape) ou encore de « Toca tocau », littéralement « tape doucement » que les  bouviers et les conducteurs de chars à bœufs utilisaient pour signifier qu’il fallait  « tapoter » les flancs de leurs bêtes avec une baguette (badine) pour les faire avancer lentement dans les zones marécageuses et éviter ainsi qu’elles ne se mettent à courir au risque de s’enliser.

Cette expression gasconne, souvent qualifié de « barbare » par les auteurs anciens, va devenir le surnom de Pierre (Jean) Dubos(c). vigneron à Pessac et propriétaire d’un bien situé au lieu les Places à Cestas. Cet homme, surnommé « Toque Touchau », va nous léguer bien involontairement son surnom, francisé en « Toctoucau » : il deviendra le nom d’un lieu puis le nom d’un quartier.

François Prosper Numa Roux

Le projet d’une vie

Si dans les années mille huit cent quarante, la construction du chemin de fer a favorisé le développement économique de la localité, un homme, François Prosper Numa Roux, va à son tour influer sur le cours de l’histoire du lieu.

Né en 1803  à Bordeaux, marié avec Mme Thérèze Coupry avec qui il aura un fils,  il exerce la profession d’avoué au tribunal de première instance de Bordeaux.

En janvier 1843, il acquiert un domaine de 17 ha au lieu-dit « Latchigue  ou La Chigue » sur Pessac sur lequel est bâtie une maison qu’il va agrandir et prendra le nom de « Belle Allée ».

Homme pieux, proche des milieux religieux et caritatifs de Bordeaux, il ambitionne pour cette « contrée isolée sur le point d’être contaminée par des visiteurs ( allusion aux voyageurs de la ligne de chemin fer.) et des passants » de construire un lieu de culte  et d’instruction religieuse qui « pourrait être d’un grand secours pour conserver la foi et les mœurs par l’éducation de l’enfance.» mais aussi de contribuer à son peuplement et à la création d’un bourg.

D’une chapelle à une Eglise paroissiale

Avec l’appui financier de quelques propriétaires locaux de Cestas et Pessac, il fait bâtir une chapelle, sur un terrain lui appartenant, situé en bordure de la route commune de Pessac.

La chapelle ouvre ses portes en 1854, mais les offices religieux sont irréguliers : le curé de Cestas, qui avait accepté de venir y célébrer la messe, renonce, faute de recevoir les défraiements promis.

Pour assurer la présence permanente d’un prêtre, il faut obtenir que la chapelle privée soit classée en église paroissiale. En 1861, M. Roux en fait la demande à l’Archevêché et propose un périmètre pour la future paroisse.

Cestas, Saint-Jean-d’Illac et Pessac vont s’opposer vigoureusement à cette création de paroisse qui, en amputant une partie de leurs territoires, réduirait leurs ressources déjà modestes.

La Préfecture de la Gironde, quant à elle, rappelle qu’une des conditions préalables à la création d’une nouvelle paroisse, est de posséder un presbytère pour loger le prêtre, qu’il n’en existe pas et que cette paroisse n’a pas les moyens d’en construire un.

Si l’emprise sur Cestas de la nouvelle paroisse sera réduite, malgré les oppositions, le décret érigeant l’Eglise Saint Vincent de Paul de « Toquetoucau » en succursale de l’Eglise principale du canton de Pessac (équivaut à l’érection en paroisse) sera signé par Napoléon III le 6 août 1863. Le premier desservant sera Joseph Papin.

Le presbytère

En 1863, la construction d’un  presbytère pour héberger le prêtre de la paroisse débute.

Mais les moyens financiers ne sont pas à la hauteur des ambitions. En 1866 sa construction est arrêtée faute de moyens.
En 1871, les travaux reprennent, mais cette fois, c’est l’entrepreneur qui fait faillite. En 1873, une nouvelle demande d’aide arrive à la Mairie de Pessac :« L’église et le presbytère construits par le zèle et la générosité des habitants n’ont pu être achevés. De plus, la sacristie et le sanctuaire se sont effondrés… ».

Les communes de Saint-Jean-d’Illac, Pessac et Cestas seront maintes fois sollicitées pour payer les travaux. Mais elles n’oublient pas que les édifices religieux ont été construits sans leur consentement, la paroisse créée en dépit de leur opposition, et sans compter la demande en cours de création d’une commune indépendante. Cette volonté d’indépendance de « Toctoucau » a un coût que les communes ne veulent pas assumer et elles résisteront longtemps aux sollicitations.

Mais la piètre qualité des matériaux utilisés et les malfaçons vont faire que l’église doit être en grande partie reconstruite et le presbytère achevé pour loger le prêtre.

La commune de Pessac finira par débloquer progressivement les financements de ces travaux qui dureront plusieurs années.

L’instruction des enfants

Depuis les années 1853-1854, il existe une école publique pour les jeunes garçons, aménagée à « Lesticaire », dans une petite maison louée  par la Mairie à Madame Pétronille Bacquey veuve de Pierre Arbaud.

Soucieux de l’instruction, surtout religieuse des enfants, M. Roux demande son transfert dans une maison que vient de faire bâtir M. Jean Dardenne à côté de la chapelle. Après un premier refus de la Mairie de Pessac mais aussi de la Préfecture de la Gironde, cette école pour les garçons sera finalement transférée dans la maison de M. Dardenne vers la fin des années 1870 et l’instituteur sera M. Jean Ducasse.

L’ouverture d’une école publique pour les filles n’est toujours pas à l’ordre du jour du Conseil municipal. Alors pour combler cette absence, M. Roux va aider une congrégation religieuse, fondée par Jenny Lepreux, à s’installer à « Toctoucau ». Cette congrégation, les Sœurs de la Sainte Agonie de notre Seigneur Jésus-Christ, va acquérir un domaine sur lequel est bâtie une habitation située non loin de l’église et ouvrir une école pour les jeunes filles subventionnée par la Mairie de Pessac.

Mais l’éducation dispensée par les religieuses va susciter l’hostilité de nombreux habitants au motif que les enfants passent plus de temps à l’église qu’à l’école. Lassé des réclamations, le recteur d’Académie demandera à la Mairie de Pessac de cesser le financement de cette « école ». Construire une école publique, pour les garçons et les filles, va devenir une priorité pour le Conseil municipal de Pessac, mais les désaccords sont nombreux.  Plusieurs  projets de construction vont voir le jour, mais échoueront, car jugés trop onéreux pour le budget communal.

Le départ de la congrégation et la mise en vente de leur propriété, en 1887, va constituer une opportunité : la Mairie de Pessac se porte acquéreuse du domaine. Après quelques travaux dans les bâtiments, l’école communale pour les garçons et les filles ouvre enfin ses portes. Elle accueillera les enfants de Pessac « Toctoucau »  et moyennant une contribution financière, ceux  de Cestas « Toctoucau et Pierroton ».

La création d’un cimetière.

Avec la création d’une paroisse et d’une école à «Toctoucau», la construction d’un cimetière est une demande constante et pressante de M. Roux depuis les années 1860.

Décédé à « Toctoucaue » le 27 Janvier 1880, il n’en verra pas la réalisation : le 30 mai 1886 une délibération du Conseil municipal de Cestas émet un avis favorable « à la création d’un cimetière à Toctoucau Cestas et s’engage à contribuer à la dépense dans la mesure de ses ressources. »

Dans une nouvelle délibération de 1888, on peut lire  « que le  produit  de la  souscription ouverte à cet effet dans le quartier s’élève à 500 francs et que les frais d’achat du terrain et le défrichement s’élevant à 1000 francs.  Le Conseil, pour parfaire à cette dépense, vote la proposition du Maire de prendre les 500 francs sur les fonds ordinaires de la commune … La somme sera employée à l’achat du terrain de 2515 m², y compris une concession perpétuelle que le vendeur se réserve pour la sépulture de sa famille…..et le produit de la souscription sera affecté à la clôture et le défrichement du terrain. »

La vente du terrain sera signée en juillet 1889 et dès 1890, les habitants de Cestas, Pessac et Saint- Jean-d’Illac dépendant de la paroisse de Toctoucau seront autorisés à être inhumés au cimetière de Toctoucau.

Une commune indépendante

La première demande  de création d’une commune indépendante date de 1857. Les conditions requises pour créer une commune, à savoir,  posséder une église, un presbytère, une école et un cimetière n’étant pas remplies, elle restera sans réponse.

A partir de 1865, la demande sera réitérée à maintes reprises et se précise : elle propose que le territoire de la commune soit le même que celui de la paroisse.

Si Pessac semble plutôt favorable à cette demande, une nouvelle fois, les communes de Cestas, et Saint Jean d’Illac s’y opposent vivement qui aurait pour conséquence principale de réduire les ressources fiscales des dites communes et leur corps électoral.

Il faudra attendre les années 1875 pour qu’une décision définitive soit prise : « Toctoucau » ne sera pas érigé en commune indépendante.

L’arrivée du chemin de fer puis la construction de l’église et l’installation de la maison d’école ont entraîné le désenclavement de cette zone jusque là rurale. Une nouvelle population, attirée par les perspectives de développement économique du lieu, s’installe. Des maisons se construisent en bordure de la route sur Pessac et Cestas à proximité de l’église pour héberger menuisier, forgeron, maréchal-ferrant, sabotier, laitier, épicier, boulanger, marchand de bois, auberges, employés au chemin de fer.

En quelques années des habitats groupés, voire même mitoyens, se construisent et forment un bourg qui va devenir un pole d’animation et de vie collective.

Ce bourg ne cessera plus de grandir : il deviendra  le « centre »  du quartier que nous connaissons aujourd’hui.

Pour en savoir

Pour aller plus loin dans la découverte de l’histoire du Quartier de Toctoucau, n’hésitez pas à nous contacter en cliquant ici

Voici également quelques références :

Un grand merci à Martine Lesgards pour la rédaction de cette tranche de vie documentée du quartier de Toctoucau, quartier qui a la particularité de se retrouver « à cheval » sur les communes de Pessac et de Cestas.

Découvrez Toctoucau aujourd’hui via quelques photographies :